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Mardi 1er octobre 2019 - Une histoire de TUPAPA’U : le fantôme de l’hôtel Tahiti Maeva Beach de FAA’A
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Tahiti regorge d’une culture polynésienne riche en traditions séculaires où les ancêtres ont une importance non négligeable. Nous l’avons constaté lors de notre marche à Moorea car la plupart des maisons disposent de tombes bien en vue dans leurs jardins où reposent, peut-être, parents, grands-parents… On parle de l’univers du Pō (le monde de la nuit). Et l’histoire, bien connue à Tahiti, que je vais vous raconter est juste fascinante !! Elle rejoint par ailleurs quelques unes de nos récentes mésaventures.
L’hôtel Maeva Beach est inauguré en 1969. C’est un immense établissement en béton qui offre ce que la modernité a de meilleure selon des critères finalement assez subjectifs : une débauche de marbre, le téléphone dans toutes les chambres, une vue incroyable sur le lagon… Toutes les huiles de Tahiti sont présentes (c’est-à-dire les hauts fonctionnaires métropolitains) pour cette inauguration qui se concrétise par une fête mémorable pour les tahitiens.
2019 - Nicolas et Alexia fêtent leur anniversaire de mariage le 4 septembre à Tahiti. Et pour marquer d’un souvenir ce jour précieux, Nicolas se voit offrir un Ti’i en bois exotique (le Ti’i - ou Tiki - est une figure sacrée).
Mais lors de cette magnifique soirée d’inauguration de 1969, alors que la réception bat son plein, des coupures d’eau intempestives alertent le personnel, qui prévient immédiatement le directeur de l’hôtel, Romain. Ce dernier, agacé - il risque sa place et sa carrière - demande que tout soit vérifié sur le champ afin que la fête se poursuive dans les meilleures conditions. C’est tout de même curieux, ce bâtiment est un modèle de perfection et tout a été vérifié 100 fois… Heureusement, l’eau revient alors que la pagaille atteint les cuisines et tout reprend son cours.
2019 - La vie est vraiment merveilleuse à Tahiti, mais une série de micro-évènements commence à se produire chez Alex et Niko.
1969 - Tahiti est une île grande comme un mouchoir de poche et les potins vont bon train. Tout le monde a entendu parler des coupures d’eau et tous les tahitiens savent que le Maeva Beach a son Tupapa’u (fantôme), qui, ingénieux, a attendu la fin de la construction et l’ouverture pour se manifester. En effet, un marae modeste, orné de crânes, était honoré à cet emplacement. L’arrogance de ces étrangers donneurs de leçon, avec leur modernité, a réveillé le Tupapa’u en détruisant le lieu sacré où il reposait pour bâtir cet hôtel ostentatoire.
2019 - Nicolas et Alexia admirent chaque jour béatement cette jolie sculpture de bois qui leur rappelle la merveilleuse journée passée ensemble pour célébrer un anniversaire très spécial. Ils ne prêtent que peu d’attention au vent qui tourne.
1969 est une belle année et le Maeva Beach retrouve son calme… pendant 2 semaines seulement. L’eau est de nouveau capricieuse au sein de l’établissement. Des coupures de 5 - 10 -15 minutes ou des baisses de pression viennent perturber les clients et le personnel de l’hôtel. Le directeur fait venir les architectes, les plombiers, exige que la commune de FAA’A vérifie les canalisations de distribution et envoie des ingénieurs inspecter les bassins d’où provient l’eau… Les habitants desservis par les mêmes arrivées sont interrogés : RIEN ! Seul le Maeva Beach est touché !! Personne n’est en mesure de fournir une explication cohérente.
2019 - Le Ti’i est installé dans la chambre à coucher. 4 jours plus tard, Alexia ressent une très vive douleur au niveau de la hanche gauche lors d’une marche. Le lendemain, elle se brûle méchamment en cuisinant. Le surlendemain, Nicolas voit sa tension jouer au yoyo. Il se rend chez le médecin et Alexia consulte l’avis de la pharmacienne.
1969 - Le directeur de l’hôtel commence à l’avoir mauvaise. Chacun rit sous cape en parlant de lui. Par ailleurs le Tupapa’u se comporte bizarrement : les coupures ont toujours lieu la semaine et respectent le jour du seigneur. L’île de Tahiti est en ébullition, tout le monde attend, médusé, la suite des évènements. Mais tout a été vérifié, il n’y a rien d’anormal, et la rumeur, même chez les métropolitains, enfle pour ramener cette histoire de fantôme sur le tapis. Romain, le directeur, ne veut pas en entendre parler !! C’est ridicule !
2019 - Le médecin, alerté par la tension artérielle de Niko, demande des examens d’urgence. Mais les résultats ne donnent rien ! Nicolas est en excellente santé. Quant à Alexia, la brûlure est vilaine, mais elle cicatrise correctement. La semaine reprend son cours sans encombre.
1969 - Romain, le directeur du Maeva Beach, a jeté des millions par les fenêtres pour chercher la cause des coupures d’eau. Il est furieux. Rien, absolument rien n’a été trouvé. Alors qu’il enrage et insulte tout le monde, son assistante, une Tahitienne, lui suggère de demander de l’aide à Tupua, le tahua de Papara, une localité voisine. Un tahua est un genre de guérisseur, un peu sorcier et Tupua est érudit, parfaitement rompu aux coutumes anciennes. Il gère seul un très important marae situé à Mehetia. Bien entendu, Romain refuse d’entendre parler de ces histoires de sorcier, mais les coupures d’eau ne cessent pas et les clients ne sont pas contents. Le directeur finit par craquer et invite son assistante à aller requérir le tahua.
2019 - Alors que Nicolas et Alexia pensent que tout est rentré dans l’ordre, les douleurs à la hanche se manifestent de plus belle et Nicolas est brûlé par le soleil de Moorea lors d’une balade autour de l’île.
1969 - Le lendemain, un vieux pick-up rouillé et cabossé, avec une vieille femme édentée assise dans la benne, se gare devant le magnifique hall de l’hôtel. Alors que Romain est sur le point d’exiger une évacuation d’urgence - c’est carrément la honte pour les clients - on lui annonce qu’il s’agit du tahua. Il est pieds-nus et peu vêtu, comme la vieille dame à l’arrière du véhicule. Il suit Romain dans son bureau et l’assistante se joint à eux pour effectuer une traduction simultanée (le tahua ne parle pas français). Le directeur explique son problème. Tupua l’écoute et répond qu’il connaît bien ce type de cas. Il s’agit d’un tupapa’u des Haere Pō (ou promeneurs de la nuit porteurs des traditions orales). Celui qui dormait là est mort d’ivresse, il cuvait tranquillement ici depuis plusieurs siècles. Il est en colère car cet énorme bâtiment est venu déranger son repos et par ailleurs le directeur l’humilie en refusant de croire en son existence. Romain doit se faire pardonner. Le directeur voit venir le moment où il va encore falloir signer un gros chèque ! Car le tahua dit qu’il doit organiser une cérémonie, une ‘marche sur le feu’, pour honorer le tupapa’u et faire preuve de respect à son égard. Tupua lui répond qu’un vrai tahua ne demande jamais d’argent. Comme Romain sait par son assistante qu’il ne crache pas sur la bouteille, il lui propose plusieurs caisses de whisky et de bière, une première moitié remise immédiatement, l’autre après disparition du fantôme.
2019 - Les collègues de Niko lui expliquent, sans rapport aucun avec les évènements qui le touchent de près car ils les ignorent, que le Ti’i ne doit pas être placé dans la maison. On ne sait jamais si son mana est bienveillant ou malveillant. Ils abritent en général une âme dont nous ne connaissons rien… Nicolas, inquiet, rapporte cette information à Alexia qui rigole un bon coup.
1969 - Le vieux tahua voit bien que le directeur ne le prend pas au sérieux. Il lui rappelle que si lui n’engage que quelques caisses d’alcool, un tahua qui échoue est déshonoré et perd la confiance de tous les tahitiens. Il lui rappelle également que c’est lui qui a délogé le tupapa’u en le privant de son marae. La tahua quitte l’hôtel sous une ovation du personnel, avec ses bouteilles et demande qu’une large fosse soit préparée pour la cérémonie. Il vient chaque jour à la tombée de la nuit psalmodier au bord du trou et vérifier que tout se déroule selon la tradition : le bois est déposé au fond de la fosse puis recouvert de grosses pierres que le tahua frotte avec des feuilles de ti (raoere ti, les feuilles d’un arbuste appelé Auti). La fosse est prête, la cérémonie doit avoir lieu le vendredi suivant.
2019 - Alex ressent une légère fatigue et quelques courbatures. Une épidémie de dengue s’est abattue sur Tahiti. La maladie est véhiculée par les moustiques tigres, nombreux sur l’île. Il n’existe aucun moyen de s’en prémunir. Mais est-ce réellement la dengue qui la fatigue ? Chez certains, la variante hémorragique peut être fatale. Chez d’autres, la maladie passe quasiment inaperçue. Et Alex n’est pas très sensible aux virus.
1969 - La cérémonie commence. Le directeur de l’hôtel a convié les clients, leur annonçant un évènement touristique. De nombreux tahitiens sont venus assister spontanément à la soirée alors qu’ils n’ont pas été invités. Le tahua est là, avec d’autres hommes âgés, habillés de pareu. Il a allumé le feu le matin-même et les pierres sont rouges sous le ciel obscur qui entoure les îles. Le son régulier du tambour emplit le jardin de mystère. Le tahua et l’un de ses compagnons prennent une branche d’Auti et s’avancent vers la fosse alors que le rythme du tambour accélère. En transe, ils traversent pieds-nus les galets ardents, cinglant les pierres avec des feuilles de ti. La foule retient son souffle, presqu’en transe elle-aussi. Les deux hommes s’approchent ensuite de Romain, qui les félicite, et lui disent quelques mots, rapidement traduits par un autre homme : ils lui demandent de retirer ses chaussures…
2019 - Comme Nicolas et Alexia sont fatigués après ces semaines mouvementées, ils décident de passer un week-end tranquille, plongés cette fois dans l’histoire des polynésiens et de leurs coutumes.
1969 - Le directeur comprend que l’on attend maintenant qu’il traverse lui-aussi les galets ardents. Il répond que c’est hors de question ! Mais le tahua insiste car c’est Romain qui a provoqué la colère du tupapa’u. Il lui explique doucement qu’il suffit de croire au fantôme, de penser très fort à lui en traversant pour ne pas brûler ses pieds. Tout le monde le regarde, sa carrière est en jeu, il n’y a pas d’autre solution. Il retire ses chaussures, les deux hommes l’encadrent fermement et le dirige vers le brasier. Il est saisi par la chaleur au bord de la fosse mais il ne peut plus reculer. La douleur le submerge, puis il pense au tupapa’u et elle finit par s’éteindre. Le tahua et son compère l’accompagnent sur les galets, ils sont étonnement forts, ils le soutiennent. La foule applaudit à tout rompre quand il arrive enfin sur le gazon, de l’autre côté. Le tahua quitte les lieux discrètement et Romain enchaine les poignées de mains et les discussions mondaines avec les hauts fonctionnaires jusqu’à se rendre compte que ses pieds sont gravement brûlés. Il est emmené à l’hôpital où on l’accueille en héros mais subit les réprimandes du personnel soignant car manifestement, il n’a pas assez pensé au tupapa’u pendant la traversée des pierres ardentes. Ses pieds sont effectivement brûlés au second degré.
2019 - Alors que Nicolas et Alexia, assis sur leur petit canapé, consultent les archives en ligne, ils tombent sur le patrimoine insolite de l’île : les maisons hantées, les revenants, les pierres chargées de mana… les phénomènes paranormaux se déroulant en Polynésie…
1969 - Le lendemain, Romain, de plus en plus furieux, regagne son bureau avec, en plus de deux énormes bandages autour des pieds, la ferme intention de prendre sa revanche. Sa colère redouble quand en début de semaine, les coupures d’eau recommencent. Il se sent berné par le tahua, un vulgaire ivrogne qu’il ferait volontiers griller au barbecue ! Il redoute par dessus tout que l’affaire arrive jusqu’aux oreilles de sa hiérarchie. Alors qu’il fulmine, quelqu’un frappe à la porte. C’est le jardinier accompagné d’un ingénieur. Tout sourire, il prétend avoir enfin trouvé le tupapa’u. Le directeur regarde ses pieds et croit s’étrangler, il ne veut plus entendre parler de fantôme ! Le jardinier reprend son récit : sa belle-sœur a crevé un pneu et il a dû l’aider à le changer. Il est donc parti en retard ce matin. En passant devant les buissons d’hibiscus, il a remarqué un bruit bizarre… des petits cris. Il s’est approché et a vu les enfants de Mama’i jouer à « conduire le car » en ouvrant et fermant la vanne du tuyau qui dessert l’hôtel. C’est leur jeu préféré la semaine en attendant le bus pour l’école et c’est pour cette raison que l’eau fonctionne bien le week-end ! Alors que Romain regarde toujours ses pieds, l’ingénieur lui précise qu’il a verrouillé la vanne et que les coupures d’eau s’arrêtent aujourd’hui. Un peu déçus par l’impassibilité du directeur alors que le problème est résolu, les deux hommes quittent le bureau. Le directeur n’attend qu’une personne : le tahua !
2019 - C’est en cliquant sur la page d’une archive traitant de l’héritage de Tahiti qu’Alexia et Nicolas commencent la lecture de l’histoire du fantôme de l’hôtel Maeva Beach : « L’hôtel Maeva Beach est inauguré en 1969. C’est un immense établissement… ». Ils sont maintenant allongés sur leur lit, dans la pénombre apportée par les lourds rideaux gris car il fait très chaud. Sur la table de nuit, le Tiki les regarde nonchalamment.
1969 - Le tahua vient chercher les dernières caisses d’alcool le mercredi suivant. Il arrive avec son tacot et deux vieilles femmes complètement ivres couronnées de fleurs chantant à tue-tête, accompagnées par une guitare et un ukulele. Il se gare devant l’entrée du palace, comme la fois précédente. Le directeur sort de l’hôtel en hurlant, lui montre ses pieds, mais le tahua ne comprend rien. Un employé arrive pour traduire. Il le menace d’un procès et lui conseille de partir immédiatement. Le tahua s’insurge calmement, il a tenu parole, le fantôme a pardonné, il attend que Romain tienne la sienne. Alors le directeur lui parle des gamins qui jouaient avec la vanne ! Il est furieux, il crie qu’il a été honteusement berné et menace d’appeler la police ! Tupua le regarde et l’écoute puis lui explique qu’il est aveuglé par sa colère. Le tupapa’u n’a pas de matérialité terrestre, il ne peut que provoquer le jeu des enfants, la crevaison du pneu, le retard du jardinier, la découverte de la vanne… Mais Romain ne veut pas en démordre, il est enragé. Il hurle d’arrêter de le prendre pour un imbécile et ordonne au tahua de quitter les lieux. Le vieux ne moufte pas, il décharge les caisses de bouteilles vides avec les deux femmes mais lui glisse quand-même qu’on doit toujours tenir parole, que l’esprit va être en colère et que ce ne sera pas la peine de lui demander de l’aide quand ça arrivera. Alors que le directeur crie que les fantômes n’existent pas, un membre du personnel arrive en courant à la porte : il y a une panne générale d’électricité dans l’hôtel. Au moment où le tahua essaie de démarrer sans succès sa voiture pour quitter les lieux avec ses deux mamies, Romain crie « Monsieur attendez ! » et demande au personnel de charger les caisses de whisky et de bières promises. Une fois la cargaison dans la benne, le tahua reprend la route et les deux vieilles femmes leurs instruments pour chanter joyeusement en exhibant leur absence de dents. Et soudain, toutes les ampoules de l’hôtel se rallument en même temps.
2019 - Alexia et Nicolas referment l’ordinateur. Ils ont adoré cette histoire de tupapa’u. Ils se promettent de visiter une ou deux maisons hantées. Ils ne sont pas superstitieux, alors l’idée leur plaît. Leurs regards tombent sur le Tiki à côté du lit. Alexia le saisit et décide de l’installer sur une coupe noire en porcelaine, dehors, sur la terrasse. Il aura une belle vue sur le Pacifique.
Le Maeva Beach a fermé ses portes en 2012. Il avait cumulé plus d’un milliard de francs pacifiques de pertes depuis 2006. Faute de repreneur il a été rasé. Rien n’a été reconstruit à la place. Le tupapa’u veille au grain…
Photographies ©archives Sofitel et ©ALX 2019
Infographie et colorimétrie ALX2019
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Commentaires
superbe, on en veux encor, bouhh ^^
RépondreSupprimertjour un grand plasir a lire tes récits ;)
bisous
J'ai adoré!
RépondreSupprimerC'est une histoire très drôle. Bien sûr, nous ne sommes pas superstitieux mais, soyez prudents... on ne sait jamais ;-)
J'espère que vous êtes rétablis et que vous allez poursuivre vos pérégrinations. Merci de partager ces découvertes.
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