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Je dois commencer par préciser un détail important pour la suite de l’histoire. Quand les premiers colons ont débarqué à Tahiti en provenance de l’Asie du sud-est il y a environ 1000 ans, ils avaient dans leurs pirogues des cochons, des chiens et des poules avec des végétaux pour cultiver la terre afin de s’implanter rapidement et se nourrir. On trouvait encore au XIXe siècle sur l’île la seule race de chien végétarien connue. Ils se nourrissaient d’uru (fruit de l’arbre à pain) et de noix de coco ce qui conférait une saveur délicieuse à leur chair. Aujourd’hui en Polynésie, les gens arrivent puis repartent, il n’y a pas toujours de barrières pour contenir tout ce petit bestiaire, beaucoup d’animaux sont laissés à l’abandon ou se reproduisent n’importe où. Il existe maintenant à Tahiti des milliers d’animaux sauvages qui déambulent partout : coqs, poules, chats, chiens. Mais ce sujet, sensible, fera l’objet d’un traitement particulier.
Revenons à notre malédiction. Comme je vous l’avais raconté lors du récit sur le Tupapa’u de l’hôtel Tahiti Maeva Beach - que je n’ai normalement pas le droit de nommer, il est permis de rapporter l’affaire, mais ici nul ne cite jamais le nom de l’établissement - de nombreuses histoires relevant de la superstition marquent les familles polynésiennes. Et ce matin, alors qu’ils discutaient de la soirée « Frissons » que propose la chaîne Polynésie 1 ce soir à 21h15, Vahina, une collègue, a confié à Niko une bien étrange histoire…
La famille de Vahina est propriétaire d’un ravissant fare (une maison) où ses grands-parents ont vécu de nombreuses années de bonheur, entourés de tous les leurs. Les parents de Vahina et ses frères et sœurs vivaient dans cette maison où ils ont été très heureux également. Mais le temps faisant son œuvre, les grands-parents, très âgés, ont fini par rejoindre un lieu appelé rereraa varua, la pointe nord-ouest de Tahiti, le point d’envol des âmes. Ce fut à la fois un déchirement affectif et le début d’une triste histoire familiale.
Après le décès des grands-parents, l’oncle de Vahina n’entendait pas laisser la famille occuper le fare. Il avait décidé de le récupérer. Il mit donc tout le monde à la porte afin de s’installer dans la maison familiale. C’est avec beaucoup de tristesse que Vahina et les siens quittèrent les lieux où tant de merveilleux souvenirs flottaient encore dans l’air partagé si longtemps avec les anciens. L’oncle allait pouvoir jouir d’un beau fare. Il se coucha enthousiasmé par la chance de disposer d’un si agréable logis. Mais dès la première nuit la malédiction se manifesta.
Cette première nuit fut une nuit sans lune. Il y a peu voire pas d’éclairage urbain à Tahiti en dehors des agglomérations principales qui représentent peut-être 10% du territoire de l’île. Le fare était donc plongé dans une obscurité lourde presque oppressante. Et l’oncle ressentait une forme d’anxiété étrange dont il n’était pas coutumier. Les tahitiens sont des hommes souvent gigantesques et massifs, le genre à qui on ne fait pas la leçon. Le genre d’homme qui n’a peur de rien. L’oncle finit par s’endormir mais un bruit assourdissant le réveilla quelques heures plus tard. Un son si improbable qu’il se demanda s’il n’était pas dans un mi-sommeil, en train de rêver. Il refusa d’admettre ce qu’il avait entendu et tenta de se rendormir, en vain. La nuit fut longue et pénible.
Le lendemain ne fut guère brillant car la fatigue était bien là. Une nuit sans sommeil n’est pas franchement propice à une journée de travail sous un soleil de plomb. Mais qu’importe, l’oncle vivait maintenant dans le fare familial et rien ne viendrait troubler son bonheur. C’est en arborant un sourire presque insolent qu’il rentra chez lui vider quelques Hinano (la bière locale) et griller au barbecue de belles côtes de porc marinées, accompagnées d’un gros uru jeté dans la braise. La soirée fut très tahitienne ! Toutefois, ce n’est pas sans une légère angoisse qu’il regagna sa chambre au bout du long couloir pour se coucher.
Évidemment il ne réussit pas à s’endormir. La nuit était toujours opaque, il avait le ventre lourd et son esprit était aux aguets. Quand enfin le sommeil le rattrapa, le même bruit assourdissant le fit bondir dans son lit. Ce n’était pas possible, il devait encore rêver sans doute… Une cavalcade, voilà le son qui provenait du couloir. Une cavalcade. Comment était-ce possible ? Comme si un troupeau entier courrait le derrière le mur de sa chambre. Il n’osait plus bouger, observait la porte de crainte de la voir s’ouvrir. Il rabattit le drap sur sa tête et décida de ne pas succomber à la peur. C’est indigne d’un homme. C’est indigne d’un polynésien. Mais le bruit était toujours là et il ne se rendormit pas.
Deux nuits sans sommeil attaquent un homme même s’il est fort et brave. La journée suivante fut exténuante. Tout était source d’irritation et même la perspective de travers d’agneau cuits au barbecue servis avec 2 kilos de frites de patates douces ne parvint pas à le mettre en joie. La fatigue commençait à l’accabler. Il avait le sentiment de devenir fou. Il repensait aux nuits précédentes. Une cavalcade… quelle absurdité ! Une cavalcade dans le couloir d’un fare… ce n’était simplement pas possible et il n’y avait pas de troupeau autour de la maison. Ce soir-là il descendit quelques bouteilles de bières sans enthousiasme. Même l’agneau lui parut sans saveur. Rien n’est pire, sans doute, que le manque de sommeil. Le manque de sommeil couplé à l’anxiété de la nuit à venir.
Il ne s’endormit pas davantage que les nuits précédentes. Cependant la lune commençait à produire un peu de lumière rendant la pièce moins oppressante. Il attendait dans son lit. Il attendait le bruit. Quand la cavalcade commença dans le couloir, il se leva lentement et sur la pointe des pieds se rendit jusqu’à la porte. Il tourna doucement la poignée et dans la pénombre de cette antichambre de la nuit, il se trouva face à face avec un chien noir aux yeux luisants dont les babines retroussées sur les dents ne laissaient rien présager de bon. Quatre pattes dans un couloir obscur, lorsque le silence domine en dehors du ressac du Pacifique, peuvent facilement convaincre de la présence d’un troupeau entier. Il referma la porte car il n’avait ni bâton ni arme pour chasser l’animal. Il regagna son lit mais ne se rendormit pas. Au matin le chien avait disparu.
Si le bruit avait pris cette nuit-là une forme concrète, la malédiction ne s’arrêta pas pour autant. Car chaque nuit depuis son installation dans le fare, la cavalcade recommence. Et toutes les nuits passées là sont pour l’oncle des nuits sans sommeil. Les autres membres de la famille ayant vécu ici n’ont jamais entendu le moindre bruit ni vu le moindre chien. Vahina non plus. Et lorsque l’oncle leur demande de venir constater le problème un soir d’été, il est le seul à entendre la cavalcade. Les autres dorment du sommeil du juste et aucun son ne vient troubler leur repos…
Niko retourne dans son bureau l’esprit un peu agité. Décidément, cette île recèle bien des mystères. Les animaux sauvages et abandonnés sont toutefois une triste réalité.
Photographies : ©ALX&NX2019
Infographie et colorimétrie ALX2019
* Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite ;)
Commentaires
Comme d'hab.. tu nous fais rêver superbe récit, superbes photos,
RépondreSupprimercomme d'hab, envie de lire encore plus, donc continuez!
hâte de lire le suivant, prenez bien soin de vous et profitez!
Carpe diem
bisous
ana
Salut les amis,
RépondreSupprimerAh quelle histoire, encore une fois les esprits protègent bien des mauvaises intentions...
Merci pour ce partages, les photos sont très belles, oui ça fait rêver ces couchers de soleil , le ciel tourmentés sous les palmiers, et cette lune blanche qui paraît fragile dans le noir profond du ciel....
A bientôt de vous lire ...
Je vous embrasse
Maria